Capucine Veuillet Capucine Veuillet

Marcher vers l’orage

Fin d’apres-midi, Plage de Sciotot. L’air est atrocement humide et chaud, un épais brouillard nous barre la route. Pas de mer, seulement cette fumée blanche, ce brouhaha, ces doutes, ces peurs, ces hésitations. ‘’Du jamais vu !’’ me dit Valérie, tu parles… un air de Thaïlande ouais! On s’avance sur la plage, c’est bien du sable, ce n’est pas un mirage.

Pas à pas, on distingue enfin de l’eau, la mer.

Cette plage est immense, vide, silencieuse et autour de moi, rien. Ni début, ni fin, un paysage irréel. À quelques kilomètres à peine, le ciel bleu est immense, le soleil brulant. C’est étrange, c’est comme si l’on était rentré dans ma tête tout à coup, et tata avec moi !

Pieds dans l’eau, elle est fraiche quand même ! Je me retourne ‘’oh !’’, un relief est apparu soudainement, la masse blanche s’élève doucement puis stagne sur les falaises. Je les fixe, ces falaises que je vais gravir durant les 4 prochains jours, seul avec moi-meme… et peut être ce brouillard épais. Ma gorge se sert ‘’mais qu’est ce que tu fais là encore Capucine ? Toujours avec tes idées abracadabrantes, à te mettre dans des situations improbables !’’.

Fin d’apres-midi, Plage de Sciotot. L’air est atrocement humide et chaud, un épais brouillard nous barre la route. Pas de mer, seulement cette fumée blanche, ce brouhaha, ces doutes, ces peurs, ces hésitations. ‘’Du jamais vu !’’ me dit Valérie, tu parles… un air de Thaïlande ouais! On s’avance sur la plage, c’est bien du sable, ce n’est pas un mirage.

Pas à pas, on distingue enfin de l’eau, la mer.

Cette plage est immense, vide, silencieuse et autour de moi, rien. Ni début, ni fin, un paysage irréel. À quelques kilomètres à peine, le ciel bleu est immense, le soleil brulant. C’est étrange, c’est comme si l’on était rentré dans ma tête tout à coup, et tata avec moi !

Pieds dans l’eau, elle est fraiche quand même ! Je me retourne ‘’oh !’’, un relief est apparu soudainement, la masse blanche s’élève doucement puis stagne sur les falaises. Je les fixe, ces falaises que je vais gravir durant les 4 prochains jours, seul avec moi-meme… et peut être ce brouillard épais. Ma gorge se sert ‘’mais qu’est ce que tu fais là encore Capucine ? Toujours avec tes idées abracadabrantes, à te mettre dans des situations improbables !’’.

Mon voyage est incertain, tout comme le temps apparemment… Dans un tel brouillard, impossible de trouver un repère, un chemin, la bonne direction à suivre. Si c’est comme ça demain, je ne suis pas sortie de l’auberge ! Bon, allez, RESPIRE. Fais confiance, fais le vide et concentre toi sur ton objectif : marcher, avancer, ressentir, évoluer. Faire de ton corps et ton esprit un seul être, tes jambes et ta tete doivent être les meilleurs amis à présent.

Tata est à l’eau ! Je suis bien trop préoccupée par mon départ de demain et ce temps étrange pour daigner la rejoindre, une vraie trouillarde. ‘’T’inquiète pas, ici, ça change tous le temps, demain le ciel sera clair pour ton départ, j’en suis sure !’’.

Jour J. C’est Valérie qui m’accompagne jusqu’au départ : la plage de Siouville. Nous nous rapprochons et …bingo ! Tata avait raison, un ciel bleu, un lever de soleil encore timide à ma droite derrière les collines, une mer calme et silencieuse à ma gauche… et tout droit devant moi, les falaises, hier encore invisibles.

Le chemin est dégagé, mais au loin, là ou je vais, un ciel noir, menaçant et plein d’incertitudes. Incroyable. J’ai l’impression que la nature n’est autre que le reflet de mon état d’esprit, de mes angoisses. Je souris. Fais-toi confiance. Si l’orage doit s’abattre sur toi, qu’il le fasse. Après la pluie le beau temps dit-on…

Départ de GR introuvable, allé, je dois y aller GR ou pas GR. Parfois le chemin n’est pas tout tracé alors on se jette à l’eau – ou dans les dunes de sable pour ma part ! Je m’aventure alors au beau milieu des dunes de Biville. Un paysage absolument lunaire, je suis impressionnée, intimidée, je me sens si petite. Elles s’étendent à perte de vue en zigzag, un vrai labyrinthe.

Une forte étreinte, de l’émotion, mon sac de 23kg en place, je tourne le dos à Valérie et m’en vais. Ca y est, je marche. Que c’est bon ! Effrayant et magique ! Tata me fait de grands signes pendant de longues minutes depuis une petite dune. Petit à petit, elle devient toute petite, puis je ne la vois plus. 360. Seule, seule avec mes dunes de sable et le silence total.

J’avance doucement et d’un coup… je cours ! Je vole ! Je cris, je ris, je danse… l’euphorie ! Le poids du sac me rattrape et mes écarts sur MapsMe aussi! Zéro réseau ici, la peur elle aussi me saisit d’un coup sec, la solitude, ce silence. Je marche plus vite, je dois me concentrer sur mon mental : ‘’Tu peux le faire, tu ne crains rien et puis au pire…c’est trop tard ! tu es déjà loin !’’

Une brise se lève, je ne suis plus seule ! Je marche avec le vent, il me parle et parfois s’emballe dans le creux des dunes. Douce chaleur dans mon cou… les premiers rayons de soleil ! Il est là, lui aussi, avec moi !

Après 2 heures de marche qui m’ont parue être une décennie, je retrouve un horizon : la réserve naturelle de Vauville. De nouvelles émotions, un soulagement, une fierté. J’ai réussi ! Réussi à partir, à avancer, à me prouver que je vais bel et bien les parcourir ces quelques 60km !

Me voilà aux portes du camping de Vauville et surtout… me voilà enfin devant mon premier panneau GR ! Il fait chaud. L’orage, au-dessus des falaises, droit devant moi, se fait de plus en plus menaçant mais le soleil dans mon dos me donne du courage : c’est parti ! On attaque le relief, fini le va-et-vient du faux plat des dunes. Je prends de la hauteur, je sens la brise de mer, l’odeur du sel, le souffle du vent et la chaleur du soleil. J’en prends plein la vue, j’ai le souffle coupé devant tant de beauté. C’est la première fois que je suis si proche des falaises en France. Je vois loin, je vois aussi le précipice à ma gauche et les vagues qui viennent se déverser dans un grand fracas contre les roches millénaires. C’est beau, c’est violent, fort en émotion. J’ai la tête qui tourne. C’est un tourbillon dans mon ventre, dans tout mon corps. Je ne pense à rien, je ressens seulement tous ces éléments, ces forces de la nature. Je marche, je bois, je mange une ou deux baies parmi les centaines qui ornent le chemin. L’orage est toujours devant moi, c’est comme s’il reculait en même temps que mon avancée.

Une heure plus tard, j’ai parlé trop vite. Les rayons du soleil toujours dans le cou, la pluie s’abat sur mon visage et sur tout mon corps. Je ne m’entends plus penser : à gauche ou tout droit ? le chemin n’est plus bien tracé, j’hésite : prend une décision ! À gauche… mauvais choix, je m’enfonce dangereusement dans une faille de la falaise, la roche est devenue une vraie patinoire en quelques minutes. Shit ! Ce n’est pas là. Ce n’est pas possible. Pas grave, fais demi-tour. Accepte l’erreur, accepte la pluie, le froid sur tes mains. Transforme ta peur en force. Je m’arrête et sous la pluie, je prends le temps : transforme ce moment désagréable en positif, force-toi, sinon dès la première épreuve, tu vas crever. Une minute, deux minutes, le bruit de la pluie devient rassurant, les battements de mon cœur ralentissent, mon souffle se stabilise. Eduque tes 5 sens, c’est toi qui décides, qui contrôles. Pourquoi tu as peur ? Marche comme s’il n’y avait pas de tempête. Pense à ce que tu veux, à ton objectif. Relent d’énergie, c’est reparti ! Je suis de nouveau sur mon GR. Quelques secondes à peine plus tard, la pluie cesse. L’orage est passé comme un miracle de la nature, je retrouve mon beau soleil et ses rayons dans mon cou.

10km plus tard, je sens mes jambes, mes hanches et mon dos plus que jamais. A croire qu’un faux plat est pire qu’un 1’200 de dénivelé en montagne ! J’avance le sourire aux lèvres malgré la douleur car les paysages sont sublimes, j’avale les kilomètres tout en n’en voyant pas la fin. Nouveau nuage noir se dirigeant droit sur moi, je fonce. Je suis dedans mais toujours pas de pluie, je presse le pas, vite ! Quelques gouttes… et puis le déluge… mais derrière moi ! Aussi improbable que cela puisse paraitre, je l’ai évité ! J’en ris, j’en pleurs presque, je suis épuisée quand soudain, une dizaine de mètres plus loin… le voici ! Mon objectif de la journée : le Nez de Jobourg ! L’une des plus belles falaises de Normandie … avec un ciel bleu infini ! Improbable ! Je n’en reviens pas ! Je me laisse tomber au sol et reste bouche bée durant de longues minutes face à cette vue grandiose, profitant de chaque seconde d’émotion, de bonheur, de satisfaction.

Tu pensais que c’était fini pour la journée ? Et bien non! Il reste encore 3km de béton pour rejoindre le petit coin de paradis qui se cache au cœur de La Hague… La Buhotellerie, la seule auberge de jeunesse du coin. Oui, oui, auberge de jeunesse perdue en pleine campagne Normande!

Ce voyage est tel un roman d’aventures, tu sais lorsque tu te dis que ce ne sont que dans les livres ou les films que c’est possible ? La vie m’a prouvée le contraire et je dirais même mieux, JE me suis prouvée le contraire. Seule toi est maître du chemin que tu décides de tracer, des sourires que tu décides de donner et de recevoir. Seule toi est maître de ton interprétation de la situation, des rencontres que tu fais, de ta perception de la beauté de ce qui t’entoure. Pourquoi suis-je en extase devant ce village ? Devant cette campagne banale comme il y en a tant à deux pas de mon chez moi ? Parce-que tu as décidé de poser un regard particulier, parce-que tu as décidé de leur dédier toute ton attention, tous tes sens. Un mot, un geste, une décision et tout peut changer : OSE. Ose aller vers l’inconnu, vers ce qui te fait peur, vers ce qui te semble sombre, seule la lumière peut te prendre par surprise… et ça en vaudra la chandelle.

23km, une journée de marche avec ces plus de 20kg sur le dos… ce soir je mangerai au moins 3 portions pour diminuer ne serait-ce de 500gm le poids. Première leçon ! Cette route goudronnée ne finit jamais ! Encore 100 mètres, d’après le panneau. C’est là ! Enfin !! Quelle bâtisse, quel lieu paisible, beau, simple, pleins d’énergie, baignant dans la lumière dorée du coucher de soleil. Explosion de joie ! Je pose tout le poids que j’ai sur les épaules, je respire… ‘’Bonsoir !’’

Un visage souriant par la fenêtre, c’est Simon, le propriétaire de cette auberge ou devrais-je dire de ce fabuleux coin de paradis. ‘’D’où viens-tu ? Raconte-moi tout, quelle est ton histoire ?’’. Des ondes bienveillantes, une confiance instantanée, Simon est exceptionnel. Une fois remise de mes émotions de la journée, nous discutons, de tout, de rien, de la vie, des raisons profondes de mon voyage, celui intérieur. Echanger pour de vrai, se sentir libre de s’exprimer, d’être sincère, de mettre à nu ses pensées, ses doutes face à un total inconnu. Ressentir l’écoute, le calme. Quel bonheur de retrouver ces connections pures qui te marquent pour toujours, qui t’aident à avancer sur ton propre chemin, qui te guident sans même le savoir. C’est beau. Il n’y a pas que Simon, il y a aussi ces quelques autres marcheurs et Routard. Routard c’est le chat, tu peux tout lui dire pendant qu’il te fait des ronrons. Promis, il ne te jugera pas lui non plus !

Comme convenu, je plante ma tente au fond du jardin, entre les canards et le potager. Il m’a fallu le temps de me glisser dans mon duvet pour partir dans un sommeil profond. Réveil compliqué. Mon corps est paralysé, j’ai l’impression d’avoir fait 15 cours de Bodycombat la veille, c’est tout comme. De nouveau, le mental refait surface… je vais marcher, encore ! Vers la mer, de nouveau ! Quelques minutes plus tard, le sac est fait. J’emporte un peu moins de poids aujourd’hui, la soirée fut libératrice (tu m’étonnes… un risotto, un Hachis Parmentier, un Dhal de lentilles et de longues discussions sur le sens de la vie) !

Simon me conseille un chemin pour rejoindre le GR qui me conduira à ma prochaine étape 10km plus loin. Je ne me pose aucune question et suis ses indications. Quelle surprise… le petit filou, il ne m’a pas dit qu’il m’envoyait tout droit dans un nouveau paradis de beauté ! Une large piste puis un chemin et tout à coup… la mer, bleue, scintillante, vivante, calme, étendue de tout son long sous mes yeux. Bouche bée, une fois de plus. Les larmes coulent, larmes d’une joie pure de cet instant présent. Merci Simon. Merci pour ce beau cadeau. Je me surprends à ne plus ressentir aucune douleur physique ! J’ai l’impression d’être droguée ! Je fonce tout droit, je cours dans cette descente toute droite jusqu’aux falaises. Je suis seule, seule sur mon chemin toujours orné de ces délicieuses baies – mon petit dej’ fruité ! Contemplation. 300m plus bas, face à la mer, de nouveau. Toi et moi, on commence à se comprendre !

Le Fish & Chips de Goury, une institution d’après les marcheurs, un but à ma longue matinée : l’appel de la bouffe ! Parce que la vie c’est ça aussi ! Et clairement, après quelques kil’, ton Fish & Chips, c’est comme un repas gastronomique dont tu savoures chaque demi-bouchée, que tu respectes et bénis comme si c’était le dernier repas de ta vie ! Que c’est bon ! Quel bonheur constant d’etre conscient de tes 5 sens en permanence. Quel bonheur de ne se préoccuper seulement de ton corps et ton esprit, de les écouter ensemble. De suivre ton instinct, d’aller où bon te semble. C’est ça la liberté, la vraie !

10km plus loin (ou presque), le plat c’est long ! Bien plus long que le dénivelé en fait, qui l’eut cru ?!

Port Racine, le plus petit port de France. Que c’est mignon ! Cependant, c’est désert. Désertique je dirai même, en vérité ça fout la chair de poule. Après ce port, une longue plage qui s’étend jusqu’à la pointe, ça me parait être le bout du monde. La fatigue se fait ressentir mais ce n’est pas que ça. Je ressens de mauvaises ondes, je presse le pas, je ne veux pas m’éterniser ici. L’angoisse monte, je marche, je marche, mais je n’ai pas l’impression d’avancer. Il arrive ce camping ?! Je cours, le soleil a presque disparu, la pénombre s’installe doucement. Je ne suis pas rassurée, et si je n’y arrive pas avant la nuit ? Je devrais dormir ici alors que je ne m’y sens pas bien ? Hors de question ! Go, go, go, encore un dernier effort, plus qu’un kilomètre, c’est rien un kilomètre comparé à tout ce que tu as parcouru depuis hier ! Facile à dire mini-moi…

Comme tout, il a fini par apparaître ce camping. Soulagement. Je ne m’y sens pas 100% confortable mais ça fera le job pour la nuit. Un bon repas lyophilisé, un bout de fromage que m’offre gentiment mon voisin de tente et hop au lit !

10 kilomètres tout rond seulement aujourd’hui …mais arrivée prévue avant 13h … tout pile pour mon cours de kite à D’Urville-Nacqueville : mon moteur de la journée ! Je commence à marcher : aucune douleur ! Comment est-ce possible ?! Le mental, l’endorphine, quelle puissance ! J’ai un rythme très soutenu, je me sens pousser des ailes. La fin est dure, j’en chie. Mais le but est si proche et la motivation plus forte que jamais… rider sur l’eau ! De nouveau, comme depuis mon départ, la météo est avec moi : un ciel bleu de carte postal et plus aucun nuage à l’horizon pour la premiere fois ! Toujours accompagnée de ce soleil cuisant et à l’arrivée au port… du vent pour kiter ! Synchronicités. Timing parfait. Le temps de remplir mon estomac et en deux en trois mouvements, mes pieds à l’agonie dans mes chaussures de rando se retrouvent à côtoyer les poissons dans une eau bien fraiche… un nouveau bonheur ! L’eau, après avoir suivi la mer du regard depuis 2 jours et demi, je saute enfin dedans et c’est mon corps tout entier qui profite de chaque seconde. Le contact de la fraicheur sur ma peau soulage instantanément les douleurs physiques devenues insupportables. Je tutoie ce nouvel élément en pleine conscience et pour la première fois, mon allié le vent me tire hors de l’eau me donnant des ailes quelques secondes avant de me rappeler violement que je n’ai pas encore été complètement adopté! Splash ! Tiens, il ne me restait plus qu’à la goûter cette eau de mer! C’est chose faite, avec un rincage de nez en prime ! Le sel c’est bon pour les sinus c’est ça ?

Le film continue, coucher de soleil de rêve sur la plage immense et un camping avec des lapins partout, véridique et promis je n’avais rien pris! Ça gambade, ça gambade et pouf je tombe dans les bras de morphée une dernière fois avant la fin du voyage.

Une goutte froide sur ma cuisse me tire de mon sommeil, une deuxième sur mon pied ouvre mes yeux, splash dans l’œil ! Mais que se passe-t-il ? Nouvelle leçon… ne pas mettre sa tente à 100m de la mer… bonjour l’humidité ! On se croirait dans un hammam…mais froid ! Dernier réveil, nostalgie. Dernier lever de soleil, somptueux. J’ai l’impression qu’il est de plus en plus beau tous les jours. Mon ‘’moi intérieur’’ est apaisé. Il regarde le chemin parcouru, les émotions nombreuses que je me suis autorisée à vivre, les vibrations que j’ai accueillis, les douleurs que j’ai accepté. C’est beau.

C’est parti pour les 10 derniers kilomètres jusqu’à la gare de Cherbourg où je retrouverai Valérie et Marco,  ma tante et mon oncle. Cela fait seulement 20 minutes que je marche lorsque le GR se confond avec la plage. Je suis attirée comme un aimant, mon corps a déjà chaud et mon esprit est déjà dans l’eau sous les premiers rayons du soleil de cette belle journée d’été. L’envie irrésistible de piquer une tête prend le dessus, je me change entièrement, enfile mon maillot de bain et cours, cours sur cette longue plage, puis dans l’eau, éclaboussant tout autour de moi. C’est froid, mais rien ne m’arrête, je nage. Bonheur ! Je profite des derniers instants de fraicheur et de cette liberté inconditionnelle avant de reprendre la marche en une traite jusqu’à Cherbourg. Tout comme j’ai accueilli mon départ, j’accueille petit à petit mon arrivée, la fin de ce film d’aventures. Alice au pays des merveilles va bientôt devoir se réveiller. ‘’CHERBOURG-EN-COTENTIN’’ , ce panneau si symbolique pour moi. La fin d’un périple intérieur et physique, d’un dépassement de soi. Le début d’un nouveau moi et le chemin amorcé vers une connaissance de Capucine, la vraie, celle dépourvue d’artifices, authentique.

Avec tout ça, j’ai bien mérité une bonne part de flan ! Mes papilles sont en émoi, je ferme les yeux pour intensifier ce plaisir gustatif. Le soleil est toujours là, réconfortant. Tata et tonton sont là, eux aussi ! Emotion ! Ils me prennent dans les bras et me couvrent de petits cadeaux précieux pour marquer ce périple. Ca me touche beaucoup. Ils m’accompagnent sur le quai et comme lors de mon départ 4 jours plus tot, je vois leurs silhouettes s’éloigner petit à petit, le sourire aux lèvres, remplie d’émotions.











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Capucine Veuillet Capucine Veuillet

Calais, mon coeur à frontières ouvertes

Calais

Deux semaines. Deux semaines d’émotions, de désillusion, de peine, de surprise, d’amour, d’entraide, de rire, de bonne humeur. Deux semaines où les à priori s’envolent, où les idéaux partent en fumées. Mon cœur fût tel des montagnes russes entre une prise de conscience violente sur mon identité et un espoir vif en l’Homme. Deux semaines en dehors de ma petite bulle, deux semaines dans l’enfer du quotidien d’êtres humains ; vivants pourtant à quelques centaines de kilomètres de moi, dans ce beau pays qu’est la France.

Un dimanche de grisaille, laissant derrière moi 7 ans de vie étudiante, 4 pays et déjà plusieurs prises de conscience ; me voilà dans ce Ouibus, nous sommes 3 : direction Calais. Je ne sais pas vraiment ce que je fais. Seul mon instinct me pousse à monter dans ce bus, un besoin de vérité, de ne plus me mentir à moi-même. Je veux être transparente. Je veux voir par mes propres yeux, qu’importe la réalité. Je ne sais pas vers quoi je me dirige, mais j’y vais. Comme à chacun de mes départs à l’autre bout du monde, je sais que, là aussi, c’est un voyage. Un voyage pour le corps et l’esprit. Je ressens les même petits papillons dans le ventre à un détail près : ce ne sont pas 12 heures d’avion qui m’attendent mais une heure de bus. Je crois que c’est encore plus effrayant. A seulement une heure...

Deux semaines. Deux semaines d’émotions, de désillusion, de peine, de surprise, d’amour, d’entraide, de rire, de bonne humeur. Deux semaines où les à priori s’envolent, où les idéaux partent en fumées. Mon cœur fût tel des montagnes russes entre une prise de conscience violente sur mon identité et un espoir vif en l’Homme. Deux semaines en dehors de ma petite bulle, deux semaines dans l’enfer du quotidien d’êtres humains ; vivants pourtant à quelques centaines de kilomètres de moi, dans ce beau pays qu’est la France.

Un dimanche de grisaille, laissant derrière moi 7 ans de vie étudiante, 4 pays et déjà plusieurs prises de conscience ; me voilà dans ce Ouibus, nous sommes 3 : direction Calais. Je ne sais pas vraiment ce que je fais. Seul mon instinct me pousse à monter dans ce bus, un besoin de vérité, de ne plus me mentir à moi-même. Je veux être transparente. Je veux voir par mes propres yeux, qu’importe la réalité. Je ne sais pas vers quoi je me dirige, mais j’y vais. Comme à chacun de mes départs à l’autre bout du monde, je sais que, là aussi, c’est un voyage. Un voyage pour le corps et l’esprit. Je ressens les même petits papillons dans le ventre à un détail près : ce ne sont pas 12 heures d’avion qui m’attendent mais une heure de bus. Je crois que c’est encore plus effrayant. A seulement une heure...

Calais. Cette ville qui a tant fait parler d’elle, non pas pour sa belle plage de sable fin et ses délicieuses moules-frites, mais pour ses visiteurs tant dénigrés, à qui l’on a arraché/ que l’on a privé de toute dignité. Jugés au premier regard, hommes, femmes, enfants, qu’importe ? « Pas de ça ici ! ». Parle-t- on d’un animal ou d’un homme ? Un animal, on le met à l’abri la nuit, on le bichonne le jour et on lui donne des croquettes saveur foie gras. La détresse humaine sur le pas de sa porte ? On l’ignore. On gaze son eau et on asperge d’huile son pain. On la frappe et l’intimide. Mais non ! Ce ne sont que des mensonges proliférés par de jeunes militants hippies qui exagèrent ! Et nous voilà la conscience tranquille. Il ne faudrait pas se retrouver face à soi-même et son égoïsme, ce serait se faire trop de mal !

Le bus, son chauffeur, ses deux voyageurs et moi-même s’avançons lentement dans cette pluie fine qui s’abat sur cette triste journée du Nord. Je me suis assoupie ... Mais où suis-je ? Une prison ? Un territoire en guerre ? De part et d’autre, des grillages, des murs, des barbelés. Une liberté limitée, étriquée. Des interdits, des contrôles. Une tension, la gorge serrée, un premier choc. Nous croisons un premier camion de CRS, puis 2, puis 3, 4, 5... Les gilets jaunes ? Non, nous sommes dimanche, pas de couleurs à l’horizon. Seuls des hommes en uniforme, le visage ferme, l’arme au poing et le sourire moqueur.

Le moteur est coupé, seul le sifflement du vent glacial retenti dans ce parking des arrivées désert. Une femme m’attend, elle sourit. Je m’avance vers l’inconnu comme vers un cocon rassurant. Elle s’appelle Lydie. Je vais loger chez elle pendant deux semaines. Je ne le sais encore pas mais cette femme d’apparence Madame Tous le Monde est en fait unique, extraordinaire.

Nous voilà sur le chemin de la « maison ». Après de brèves présentations, elle remarque mon inattention. La gendarmerie, les militaires, la Police Aux Frontières, dans quelle ville ai-je atterri ? Prise de stupeur, je constate cette présence des forces de l’ordre qui ne m’évoquent, pour la première fois de ma vie en France, rien de sécurisant. « A Calais, les CRS, ce sont les pires ! Fais bien attention à eux durant ton séjour ! J’ai perdu tout respect pour eux, moi, bonne citoyenne. Les forces de l’ordre ? Une belle image qu’on nous apprend à l’école, bienvenue dans la vraie vie, bienvenue dans la Jungle de Calais ! ». Je me rends vite compte que Calais est devenue une zone à part en France, une zone oubliée, cachée et passée sous silence. Une ville où les citoyens français se déchirent, entre groupes d’extrême droite violents, un gouvernement contraire à nos principes, des personnes désemparées par cette situation et au milieu de cette foire, des êtres humains que l’on nomme réfugiés. Lydie, divorcée depuis quelques années seulement, vit seule. Elle m’explique qu’elle accueille des volontaires mais aussi des réfugiés. En ce moment, ils sont deux chez elle, Richard et Zimako. C’est à leur côté que je vais vivre durant ces deux prochaines semaines. En guise de chambre, un grand salon séparé par un rideau où mes deux colocataires vivent depuis quelques mois. La pièce commune est un mélange d’une vie personnelle bien remplie, de rêves, de dévouement, d’espoir et de souvenirs. Au fil des jours, Lydie me racontera comment tout a commencé, comment elle est passée de femme au foyer mariée depuis des années avec un mari alcoolique à une femme indépendante prête à tout pour rétablir un peu de justice dans ce monde si cruel.

C’était un soir, à l’époque où la Jungle de Calais abritait des milliers de réfugiés, sur cette longue route qui longe le camp et qu’elle parcourait pour voir son fils habitant dorénavant avec son père, de l’autre côté. Un soir comme un autre où, une fois de plus, elle est la spectatrice d’une crise humanitaire sans précédent, là, tout près d’elle. ‘Qu’est-ce que je pourrais bien faire pour aider ces gens ?’. Dans la pénombre, une main tendue, des signes, sur le bord de cette route. Un homme. Puis, à ses côtés une femme. Elle s’arrête. Cet homme c’est Zimako, avec qui elle créera ensuite un lien très fort. Cette femme, c’est une volontaire espagnole, celle qui apportera à Lydie une réponse bien simple à sa question : ‘Vous pouvez leur proposer votre aide pour laver leur linge’. Le lendemain, Lydie était là, au bord de cette route, au bord de ce camp, à côté de ces hommes, femmes et enfants. Petit à petit, ce fût quelques personnes puis des dizaines, qui attendaient Lydie avec impatience tous les soirs. Son appartement s’est transformé en quelques jours en un véritable pressing professionnel! Tout comme sa vie, à laquelle elle a redonné un sens en partageant, en donnant de l’amour et en en recevant en retour. Elle me parle de ce rêve d’enfant qu’elle a toujours eu, partir en Afrique, construire quelque chose, partager. Puis, un premier voyage au Burkina Faso, c’est la première fois qu’elle prend l’avion. Elle part seule, à l’aventure, vers l’inconnu. Elle a fait confiance. Confiance à un jeune homme très actif au Burkina Faso. Ils ont monté un projet ensemble, construire une école, promouvoir l’éducation, donner à ces enfants, ces jeunes, l’envie de construire quelque chose au Burkina Faso. Elle veut sortir de sa zone de confort, elle se sent enfin indépendante, utile et maître de ses choix, libre. Ce projet est l’aboutissement d’une longue réflexion après ces mois passés au côté de la Jungle. Ce n’est pas seulement des services qu’elle a rendus mais bien plus que ça. Ce sont des liens d’amitié très fort qu’elle tissera jusqu’au démantèlement.

Elle me raconte la vie au camp, de si nombreuses communautés qui, petit-à-petit, en dépit de leurs différences ont réussi à s’allier, à s’entraider, à créer. Une école, de l’art, des maisons, des restaurants, des cafés, des discothèques ! De l’espoir. Des sourires, des moments d’amour, de sincérité et de tendresse dans cette réalité chaotique et sombre à l’avenir incertain. Beaucoup d’énergie, de la sueur, des combats – pour survivre, avec soi-même, avec les forces de l’ordre, avec les citoyens. 25 octobre 2016, plus rien. Triste matin. Comme un mirage où tout disparaît. Tout a disparu. Malgré ça, Lydie continue de s’occuper des vêtements, elle les lave, elle les repasse. Elle redonne de la dignité. Et, autant qu’elle le peut, elle loge les personnes dans le besoin, réfugiés ou volontaires sont les bienvenus chez elle.

Lundi, premier jour à l’entrepôt. Un réveil flou avec les récits de Lydie encore tout frais de la veille au soir. Tous les matins, c’est un accueil des plus chaleureux qui vous attend à l’entrepôt, à 9h15 précis. Mais déjà, l’entrepôt, c’est quoi ?! C’est là où plusieurs associations cohabitent pour, ensemble apporter de l’aide aux réfugiés de Calais et Dunkerque. Une ambiance quelque peu hippie, parsemée d’exigence à l’anglaise et soupoudrée d’une bonne dose de bienveillance y règne. Des couleurs, des proverbes, l’omniprésence des droits de l’Homme, de l’égalité des sexes, des règles de vie commune. Ici, tout est en accès libre pour qui souhaite venir aider. Du thé, du café, des petits gâteaux parfois (ces matins où le chef a eu envie de faire des viennoiseries à la cannelle !!) et du curry... beaucoup de curry ! Ici, il y a de la nourriture pour tout le monde, il est important d’être en forme et d’avoir une bonne qualité de vie pour ne pas perdre la tête... Pour être capable d’aider les autres, il faut d’abord se sentir bien soi-même. Une belle philosophie à adopter plus que nécessaire dans un contexte si complexe et délicat.

À mon arrivée, je fais tout de suite la connaissance de Sidonie – responsable des volontaires francophones – et de Lukas, un volontaire français qui me prend sous son aile et se lance dans une visite privée de tout l’entrepôt rien que pour moi avant que le mythique meeting de 9h15 commence. À l’entrée, sur ma droite, se trouve l’espace commun des volontaires ainsi que le ‘Charity Shop’, un espace où l’on met tous les dons que nous ne pouvons pas distribuer pour une ou plusieurs raisons et qui pour quelques euros symboliques vont faire des heureux ! Sur ma gauche, l’un des espaces les plus importants... la cuisine ! Dirigée par une asso’ anglaise, RCK, on y entend de la musique à fond et un brouhaha pas possible entre la plonge, les casseroles et les conversations des volontaires. Ah la cuisine... vous pouvez tout aussi bien commencer la journée sur un jazz tranquille et finir sur du métal allemand ! Que d’émotions ! Bref, ambiance garantie avec des équipes au top ! Mais continuons notre petit tour avec Lukas... Nous pénétrons dans les entrailles de l’entrepôt : là où les dons sont réceptionnés, triés, remis en état si besoin, puis stockés avant d’être distribués. Plusieurs associations cohabitent et chacune a des objectifs et rôles bien précis en se répartissant les différents sites de distribution. Parmi elles, Utopia 56 et HelpRefugees, les plus présentes. Lukas fait parti d’Utopia 56, mais tout le monde peut participer et aider l’association qu’il souhaite. Enfin, notre visite se termine par le ‘Woodyard’. Un espace où, tous les jours, sont coupées et préparées des quantités impressionnantes de bois donnant lieu à plusieurs distributions quotidiennes sur chaque camp.

Les jours se suivent mais ne se ressemblent pas. Belle expression pour mon séjour à Calais. Chaque jour, j’apprends davantage, chaque jour, je comprends davantage. Je comprends de mieux en mieux comment fonctionnent ces associations, comment chacune d’entre elles interagissent. Je découvre petit à petit la situation terrible de Calais et ce dans quoi le monde s’embarque pour encore plusieurs années. Jour après jour, je rencontre des gens, partage mon ressenti. Je fais aussi des formations. En effet, il s’agit d’une chose à part entière à l’entrepôt. Toutes les semaines ont lieu des formations sur la sécurité, les distributions sur le terrain, le côté légal et les droits de l’Homme, etc. Tout cela est nécessaire puisque chaque volontaire qui part sur le terrain peut réellement être confronté à des situations de tensions pouvant dérivées dans la violence. Ainsi, chacun doit être capable de réagir le mieux possible afin d’éviter le pire.

Fin de ma première semaine, je viens d’assister à la formation terrain durant plus de 3h. Je suis sous le choc. Ce fût éprouvant, dur émotionnellement. Une fois de plus, j’encaisse des choses, des faits. On nous apprend à réagir aux différents comportements que peuvent avoir les réfugiés mais aussi et surtout à la menace omniprésente des forces de l’ordre françaises. Ils peuvent bloquer nos distributions, être agressif voir violent dans le pire des cas, autant avec les réfugiés qu’avec nous, volontaire. Durant cette formation, des mises en situations, des noms de code, des règles à suivre. Toujours rester par deux, ne jamais être seul, filmer, enregistrer en cas de situation à risque. Des réflexes à acquérir contradictoires avec toute une éducation, mais bien réels, ici, à Calais. Après cela, nous pouvons choisir d’aller en distribution ou non, il n’y a aucune obligation.

Je suis bouleversée, en colère, déçue. Dès le lendemain, je demande à être inscrite aux distributions de la semaine suivante, ma dernière semaine. Je veux absolument aller à la rencontre de ces personnes, me confronter à la réalité, enfin pouvoir me faire mon propre avis sur cette situation.

Week-end, deux jours de congés par semaine, c’est la règle ici, pour éviter l’épuisement. Je me rends compte que ce n’est pas pour rien. Tant d’émotions en si peu de jours. J’en profite pour découvrir Calais. Au-delà de sa réputation de ville du nord sous la pluie et la grisaille, je fais connaissance avec ses plages des sables fins magnifiques, un bord de mer des plus agréables entre frites traditionnelles et une bonne glace ! Il fait beau et chaud ! Le lendemain, c’est au Cap Blanc Nez que Lydie me conduira pour que je puisse m’exalter devant ces magnifiques falaises plongeant tout droit dans la mer méditerranée. C’est splendide. Un bol d’air frais immense. Quelle beauté !

Lundi ... et le début d’une semaine folle ! Entre distributions et moments forts entre volontaires, mon esprit est surchargé d’émotions ! Le soir-même, j’arrive à négocier ma participation à la distribution des repas avec RCK à Dunkerque. Deux camps, des Kurdes majoritairement, 300 personnes, des hommes mais aussi des femmes et des enfants. 2 distributions qui se déroulent dans le calme, mission accomplie. La route du retour est compliquée. Je suis dans mes pensées. Je suis très terre-à-terre. Je ne peux m’enlever le regard de ce petit bonhomme d’à peine 4 ans et de ses quelques mots ‘I would like some rice please, more please !’. Un anglais parfait, un air rieur et de petits yeux malicieux. Voir ça à la TV, sur internet, dans les médias, ce n’est rien comparé à l’émotion qui vous envahit lorsque vous vous retrouvez physiquement face à ce petit bout’d’chou. Impossible d’être insensible face à cette situation. À Dunkerque, leurs conditions de vie y sont plus faciles, du fait d’un maire plus favorable et compréhensif. C’est tout autre chose à Calais...

Mardi. Aujourd’hui, je prépare les deux distributions de Utopia pour ce soir, dont une à laquelle je vais participer. Ils sont très bien organisés. Nous avons une liste de choses bien précises à préparer sur le chariot qui sera chargé plus tard dans le camion : vêtements, hygiène, premier secours, repas, etc. Utopia distribue tous les soirs des repas mais également des vêtements ou tout autre chose relatif à l’hygiène ou la santé qui pourrait s’avérer nécessaire. Il y a BMX et COVOIT. BMX, c’est le camp des Erythréens, ils sont une trentaine. COVOIT, c’est le camp des Afghans, ils sont environ 60. Les tensions y sont différentes. La présence de la mafia à COVOIT rend les distributions plus compliquées et requiert plus de vigilance de notre part. 17h, briefing avant mon départ pour BMX. La rencontre avec les Erythréens est très « chill ». Un petit groupe très sympathique, des hommes seulement, en moyenne d’une vingtaine d’année. Après la mise en place de la nourriture, je m’avance vers un petit groupe qui joue au foot, je me joins à eux et petit à petit, nous échangeons. On vient me poser quelques questions, je suis nouvelle, je les intrigue. Puis, arrive la distribution des vêtements ou toute autre chose dont ils auraient besoin. Une personne dans le camion, une contre la porte arrière, une à l’extérieur, c’est la règle pour assurer un bon déroulement. Avant de partir, je sympathise avec 3 ou 4 jeunes du groupe. L’un d’eux a mon âge. Il me demande si je connais leur histoire, si j’ai une idée concrète, réelle de leur périple, de ce qu’ils ont endurer pour arriver ici. Je dis que non. Je ne retiendrai qu’une phrase de sa part « Marcher 4 jours dans le désert, sans eau, sans nourriture, sans s’arrêter, c’est ça le pire. Pas les traversées en bateau, pas les coups. Quand t’as survécu à ça, le reste c’est de la rigolade ! ».

Mercredi. Une journée bien chargée et une belle soirée en camping entre volontaires. Ah ce fameux camping... Si vous restez plus d’un mois à l’entrepôt vous pouvez loger au camping des volontaires, dans des bungalows. Ambiance très cool, très chill. Tout le monde vit ensemble, c’est une grosse communauté. Des soirées bien arrosées, des feux de camp, de la musique, des rires, de la joie, des rencontres, des échanges. Français, Anglais, Espagnols, Italiens, Coréens, Japonais, Marocains, Allemands, et j’en passe. Une mixité culturelle absolument stupéfiante. Je passe des moments inoubliables avec les personnes que j’ai rencontré depuis la semaine dernière. Avec ce que nous vivons, nous créons des liens forts très rapidement. Si j’ai dormi au camping ce soir-là, ce n’est pas pour rien ! C’est que j’ai absolument tenu à participer au moins une fois au « Tentes Strategy ». Toutes les 48h, les forces de l’ordre viennent le matin chez BMX pour enlever leurs tentes et les déchirer. Cela fait parti de leur mission d’intimidation. Quelque soit le moyen. Tous les deux jours, les volontaires devaient donc trouver de nouvelles tentes. Mais comment faire pour empêcher cela ? Nous venons 1h plus tôt que les forces de l’ordre afin de récupérer les affaires des réfugiés. Nous les gardons et les ramenons à 10h après le passage des forces de l’ordre. Ils ont compris notre petit jeu. Ils se défoulent alors sur leur nourriture et l’asperge de produits afin qu’ils ne puissent pas manger. Je n’aurais jamais cru vivre dans un pays qui détruit volontairement la nourriture de ceux qui n’ont rien... juste pour leur pourrir la vie. « Les faire partir, à tout prix. » Trouver des solutions ? Apparemment trop compliqué, bien plus facile d’envoyer des hommes faire le sale boulot.

Jeudi. Une fois notre mission des « Tentes Strategy » accomplie, nous passons la matinée à faire des aller-retours entre camps et entrepôt pour des ravitaillements de bois et d’eau. Surprise dans l’après- midi, ils ont besoin d’une personne pour effectuer la maraude de ce soir avec un autre volontaire. C’est Utopia 56 qui s’occupe des maraudes. 19h, c’est parti pour toute une nuit. Entre rires et désarroi, ce sera une nuit forte en émotions. Notre rôle est de venir en aide à toute personne qui serait dans le besoin dans la rue. Non seulement aux réfugiés mais aussi aux personnes sans domicile fixe. Toutes les rencontres me marqueront cette nuit-là. Que ce soit nos fou-rires avec une mamie, nos gorges serrées face aux chaudes larmes d’un jeune sans-abri, nos longues minutes à écouter et encourager un jeune en difficulté – que je retrouverais le lendemain activement en train de couper du bois à l’entrepôt – ou encore ces nombreux réfugiés à qui nous avons porté de l’aide dans cette froide nuit calaisienne à seulement 3 ou 4 degrés. Ce sont des jeunes de 15 ans qui arrivent de nul part. De si loin. Ils sont là, à la gare, seuls. Ils attendent. Ils tremblent. Ils se méfient, la peur, l’anxiété, si jeune. Un visage d’ange, un regard apeuré, des traits fatigués. Si jeune et tant de kilomètres parcourus, seul, entre la vie et la mort, sans certitude, un seul objectif : être en vie demain, un peu plus loin. L’approche demande du temps, du tact, de la douceur. Puis, quelques mots, un timide sourire et des yeux qui pétillent à la vue de notre thé et de notre couverture. « Thank you » droit dans les yeux. Je plonge mon regard dans le sien. Il est si jeune. J’aimerais le serrer dans mes bras et lui dire que tout ira bien. Mais il n’y a rien d’autre à dire, rien à faire. Je suis touchée, touchée en plein cœur. Profondément attristée par tous ces destins qui n’ont pas été choisi. Pas choisi de se retrouver à 15 ans dans un pays si loin de ses origines, de sa famille, de ses points de repères. Fuir, la peur au ventre, et se nourrir de quelques instants de douceur avec ceux qui leur tendent la main. Personne n’est tout blanc ou tout noir dans cette histoire, dans cette situation. La solution ne coule pas de source. 6h du matin, la boulangerie ouvre ses portes, quelques croissants et au lit... enfin ! La nuit a été longue, le sommeil sera court.

Vendredi. Mon dernier jour. Réveil compliqué. J’ai l’impression d’avoir bu des tequilas toute la nuit. 14h, j’arrive à l’entrepôt. Je rejoins les équipes qui s’occupent du bois, il fait beau et chaud. Nous remplissons des sacs, des sacs et encore des sacs. Puis, je me prépare pour ma dernière distribution. De l’émotion déjà. Je passe mes derniers moments avec mes amis, ces volontaires que je ne connais que depuis quelques jours mais qui sont véritablement devenus des amis. C’est fou de voir à quel point les liens peuvent être fort, à quel point la confiance s’accorde, à quel point on peut aimer l’homme et le haïr. 17h, chargement du camion et briefing pour notre distribution chez COVOIT. Mission délicate, des tensions au sein du camp que l’on ne doit pas prendre à la légère. Le risque en tant que femme, important, malheureusement. Les recommandations faites, nous partons. Je conduis. À peine sortis de l’entrepôt, un camion de CRS nous suit. Nous arrivons au point de distribution. Les CRS bloquent l’entrée qui sert également de sortie. Si nous avons un problème, nous ne pouvons pas lancer une évacuation d’urgence. Nous installons le générateur, le Graal pour recharger leur téléphone ! Installation du repas. Tout de suite, ce n’est pas la même ambiance. On sent les tensions, les regards des hommes aussi. Nous avons une grosse responsabilité avec notre attitude. Ce sont des personnes fragilisées, à fleur de peau. Distribuer des repas et des vêtements peut paraître anodin mais ce n’est pas si facile que ça dans une situation si complexe et tendue. Le « Free Shop » dans le camion est ouvert. Une personne à l’intérieur, deux à l’extérieur. Durant la distribution, nous ferons face à quelques tensions, le ton monte, la situation peut dégénérer. Notre rôle est de veiller à ce que cela n’arrive pas. Les CRS viennent à notre rencontre. Nous sommes avertis de conflits à l’arme blanche dans un autre camp de Calais. Calais restera sous haute tension toute la nuit entre une présence des forces de l’ordre au maximum, des pompiers prêts à intervenir, un hôpital qui ouvre ses portes et des hommes qui, parfois, perdent le contrôle dans cet enfer qu’ils vivent depuis des mois.

À peine notre distribution finie que je rentre chez Lydie pour un dernier repas en sa compagnie et celle de Zimako. Il nous a concocté un délicieux plat traditionnel ! Une dernière soirée au camping pour des aurevoirs aux yeux humides et le cœur rempli d’émotions.

Samedi. Jour du départ. C’est Nico qui m’accompagne au bus. Nico je l’adore, c’est mon partenaire de maraude et de bons moments ! C’est une très belle personne. Une personne comme j’en ai pas mal rencontré à Calais. À croire que la misère ne donne pas seule naissance aux pires, mais fait également ressortir le meilleur de notre population. Ceux qui sortent de leur zone de confort, de leur égoïsme. Ceux qui sont courageux et refusent de vivre dans l’ignorance. Ceux qui sont tout simplement gentils, bons et simples. Ceux qui ne se plaignent pas, ceux qui ont cette capacité à parler à l’inconnu, à lui redonner ne serait-ce qu’un brin d’espoir, un sourire. Ceux qui essaient d’améliorer le quotidien des autres en partageant un peu de leur amour.

Mon but n’est pas ici d’accuser, de trouver des coupables mais de faire prendre conscience de ce qu’il se passe. La plupart des gens n’ont aucune connaissance de la situation à Calais, en France. Mon but est de partager mon expérience, mon ressenti, mes doutes. Réfléchissez, seul avec vous-même. Soyez honnête et transparent avec vous-même. Ce n’est pas chose facile. C’est parfois se rendre compte que nos actions sont contraires à nos principes, que l’on est égoïste ou que l’on est pas si bien que ce que l’on prétend. Mais s’interroger, se remettre en question, c’est le début d’un monde meilleur. Nous vivons dans un pays magnifique, d’une richesse culturelle et historique incroyable. Nos ancêtres se sont battus pour des droits, pour nos droits. Nous avons aujourd’hui la responsabilité de les faire perdurer. Banaliser, c’est le début de la fin. Oui, il y aura toujours pire ailleurs, toujours mieux, mais ce n’est pas une raison. Il n’y a absolument rien qui justifie de frapper des hommes, des femmes ou des enfants. Rien. Rien ne justifie de faire pleurer un gamin de 15 ans parce qu’il essaie de sauver sa peau. La meilleure des solutions sera trouver ensemble. La solidarité, le soutien, l’entraide : c’est ça la solution. C’est comme ça qu’on s’en sortira, qu’ils s’en sortiront.

L’émotion s’empare de moi, de tout mon être. Les larmes montent. Un sanglot s’échappe. Je m’énerve moi-même. Ce n’est pas à toi de pleurer. Pourquoi tu pleurs ? C’est dur, c’est dur de se retrouver face à cette misère dans son propre pays. C’est assister à l’affrontement entre ce que l’on m’a toujours venter et la réalité. Mais c’est l’occasion d’enfin voir le rôle que l’on peut jouer, tous. C’est prendre conscience de l’importance d’écrire, de parler, de crier, de voter, de partager, d’écouter, de s’ouvrir.

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